Deux expositions étaient entièrement consacrées au vélo cette année dans notre pays. Elles permettaient entre autres de se faire une idée de quelques possibles aménagements d’aujourd’hui et de demain qui devraient faciliter la vie des cyclistes. La première se tenait à l’occasion de « l’Année du vélo » en Wallonie, au beau Musée des Transports de la Ville de Liège, et avait pour titre « Cité Cyclo » (du 28 mai au 30 novembre). Elle retraçait l’histoire du vélo comme mode de déplacement urbain, à Liège, en Belgique et dans le monde en parallèle avec l’évolution des autres modes de déplacement. La seconde avait pour cadre le splendide musée du design de Gand. « Bike the future » (du 25 mars au 23 octobre) était principalement centrée sur le design de vélo contemporain, voire futuriste, mais ménageait un espace aux infrastructures du futur et la « culture vélo ».
Au panthéon des infrastructures cyclables les plus étonnantes, le “Hovenring” d’Eindhoven tient sans conteste le haut du pavé. Un design impeccable, une réalisation élégante et un confort d’utilisation pour les vélos justifient son aura. Cet anneau suspendu permet effectivement le passage fluide et sécurisé des cyclistes au-dessus d’un carrefour important (25.000 véhicules par jour). Plutôt que d’enterrer la circulation des vélos dans des tunnels, comme on le fait parfois à certains carrefours, on a préféré ici la voie aérienne… Le problème des tunnels étant, outre le coût, l’insécurité et le manque de contrôle social. La solution choisie à Eindhoven a néanmoins fait l’objet de critiques, non seulement pour son coût (ce projet mammouth a englouti une bonne partie du budget alloué aux vélos), mais aussi pour sa finalité (décongestionner le carrefour pour « fluidifier » le trafic automobile). Reste un bel ouvrage d’art, aux pentes plus douces que si l’on avait opté pour un tunnel. Et un « geste fort », comme disent les architectes, en faveur de la mobilité douce, un repère dans le paysage qui se voit de loin.
Beaucoup de systèmes de transport en commun ne permettent pas l’accueil des vélos. C’est pourtant une solution intermodale qui permet d’accroitre à la fois la portée du vélo et l’usage des transports en commun. À Stuttgart, on a mis en place une solution innovante de transport des vélos à l’avant des rames de tram. On appelle cela le transport intermodal, c’est-à-dire l’utilisation de deux ou plusieurs modes de transport dans un voyage. Les vélos peuvent souvent accroître l’utilisation des transports en commun. Cependant, l’espace de stockage à l’intérieur des rames est vite limité. Avec le système mis en place à Stuttgart, plus de problème, il y a toujours de la place pour les vélos sans gêner les autres usagers des transports en commun. Il y a même de la place pour les chaises roulantes !
Faire du vélo et de la marche est théoriquement aussi possible sans problème en cas de vent ou de pluie – à condition d’être correctement vêtu. En pratique cependant, cela peut devenir très inconfortable. Qui aime se déplacer en grelottant sur son vélo ? Les cyclistes et les piétons sont exposés au vent et aux intempéries, tandis que les automobilistes sont assis à l’intérieur du véhicule au sec et au chaud. Afin de promouvoir le transport non-motorisé, certaines villes ont commencé à ajuster les périodes orbitales des feux de circulation aux conditions météorologiques. En réduisant le délai entre les phases, les temps d’attentes aux feux de circulation sont réduits et le confort de conduite par mauvais temps est augmenté. Plusieurs villes néerlandaises ont installé à certaines intersections des capteurs de pluie. Les capteurs optiques émettent un signal infrarouge qui est interrompu par la pluie. L’interruption est détectée et envoie directement un signal au logiciel de contrôle du feu, qui ajuste ensuite les temps de phase pour les cyclistes. L’utilisation d’un capteur de pluie est seulement possible si les feux de circulation ne sont pas intégrés dans une « vague verte » ou synchronisés avec plusieurs autres feux de circulation. Fin 2015, les premiers capteurs de pluie ont été installés au carrefour Bosdreef-Boezemweg à Rotterdam. Le temps d’attente moyen pour les cyclistes a diminué de quarante secondes par mauvais temps. L’efficacité d’un tel système fait toutefois débat.
À Berlin, on projette d’utiliser l’ancienne U-Bahn Linie 1 comme autoroute cyclable. Cette célèbre ligne de métro de neuf kilomètres relie le Zoologischer Garten à l’ouest de Berlin à la Warschauer Strasse à l’est et traverse des quartiers populaires comme Charlottenburg, Kreuzberg et Friedrichshain. Elle est située à quelques mètres au-dessus de sol, et l’espace sous la ligne n’est pratiquement pas utilisé. Il y a quelques places de parking pour les voitures, mais le reste est en jachère. Cet espace pourrait facilement abriter une autoroute cyclable. Comme la ligne est équipée d’une toiture, les cyclistes seraient protégés du soleil, de la pluie et de la neige. Sous les ponts, il faudra accrocher des viaducs cyclistes. La piste cyclable serait aussi directement reliée à plusieurs stations de métro et parking, les voyageurs pourraient ainsi combiner différents moyens de transport. Les concepteurs du projet souhaitent également border la route de cafés, de boutiques, de bancs et de stations de service mobiles où les cyclistes pourraient réparer un pneu crevé ou un phare en panne. Le revêtement sera sensible à la pression de sorte que le courant généré par les cyclistes puisse servir pour l’éclairage le long de la route. Il y aura aussi une « vague verte » de feux de signalisation de sorte que si l’on respecte une certaine vitesse, on ne se retrouve jamais devant un feu rouge. Pour l’instant, la « Radbahn » est encore à l’état de projet, mais elle a d’ores et déjà remporté le Bundespreis Ecodesign 2015, certains politiques berlinois ont déjà fait part de leur intérêt et les médias se montrent unanimement positifs.
Aux Pays-Bas, deux projets pilotes ont été initiés pour améliorer l’état des pistes cyclables en hiver, à Groningue et Wageningen. Un système souterrain d’énergie géothermique doit en effet permettre de chauffer une partie du réseau (qui compte 35.000 km pour tout le pays). Il est vrai que chez nos voisins, on compte plus de vélos que d’habitants. Ces pistes chauffées permettraient notamment d’éviter plusieurs accidents causés par la chaussée glissante, en plus de diminuer les frais (et les dégâts) liés à l’utilisation de sel d’épandage. Un investissement colossal, qui ne fait toutefois pas l’unanimité auprès de la population, bien que la géothermie soit reconnue pour son usage respectueux de l’environnement. Et puis le réchauffement climatique dans nos régions où il neige et gèle de moins en moins souvent, rend peut-être ce système déjà obsolète. Le Québec s’est montré intéressé par le projet, mais là le rude hiver rend la chose pratiquement infaisable, d’autant qu’il y a là-bas bien moins de cyclistes qu’en Hollande…
La création de voies express cyclables est également très attendue. La plupart en sont au stade de projet, bien qu’il existe une pionnière : la Bicycle Highway de Pasadena en Californie. Construite en bois aux alentours de 1900, cette structure hors-sol qui devait relier Los Angeles à Pasadena en 10 km d’aménagement payant a fini par mourir, faute de passage, après seulement 2 km construits. Mais désormais, une communauté tente de la faire renaître. On parle beaucoup depuis des années d’un « RER » vélo reliant Bruxelles au Brabant flamand, mais on n’a pas encore vu grand-chose. Si cela prend autant de temps que le RER ferroviaire, on n’est pas près de le voir arriver… Le seul RER cycliste est entre Bruxelles et… Ottignies, où spontanément des usagers sont montés avec leur vélo sur l’assiette déjà construite des voies du futur RER, qui leur épargne de pénibles dénivelés, et ce au grand dam de l’exploitant. À noter qu’à l’origine les nouvelles voies RER devaient être flanquées de pistes cyclables, mais cette promesse semble s’être perdue dans les méandres de ce projet sisyphéen. En Vénétie, ce sont pas moins de 679 km le long du Po (projet Vento, entre Venise et Turin) qui devraient voir le jour. Dans la Ruhr, depuis 2015, une autoroute pour vélos de cent kilomètres (seuls les cinq premiers sont déjà construits), avec ponts et tunnels, relie une dizaine de villes. D’autres agglomérations se sont montrées intéressées. L’Allemagne espère ainsi surfer sur la vague des vélos électriques et éliminer 50.000 voitures.
Beaucoup de ces projets sont malheureusement destinés à le rester. Une boîte de design imaginait ainsi récupérer les tunnels abandonnés du métro londonien pour la circulation cycliste. On pourrait peut-être s’en inspirer à Charleroi… Plus sérieusement, la ville basque de San Sebastian a réussi, en 2009, à convertir un ancien tunnel ferroviaire de 850 m. en couloir cyclable. D’autres tunnels ont vus le jour, à Rotterdam, à Anvers,… Mais comme les viaducs, ces structures sont chères. En Wallonie, on peine à réparer les anciens tunnels ferroviaires du réseau Ravel, comme à Herbeumont, où l’on risque sa vie en les franchissant…
Ce sont parfois de modestes aménagements qui améliorent l’infrastructure, comme des poubelles inclinées installées à Copenhague, qui permettent aux cyclistes de se débarrasser de déchets sans s’arrêter, ou des mains courantes (« velobaar ») aux carrefours, venues de la capitale danoise également et testées à Turnhout depuis janvier 2016. Ce sont aussi de simples aménagements du code de la route, comme le « tourne-à-droite » cycliste, permettant de franchir un feu rouge lorsqu’on tourne à droite, qui tend désormais à se généraliser dans les grandes villes comme Paris, Bruxelles ou Gand, les SUL (sens unique limité ou double-sens cyclable), les sas vélo aux carrefours, les « rues cyclables », comme il en existe maintenant à Gand ou à Bruxelles (avenue Louise, sur une partie de l’allée latérale). Le développement du stationnement cyclable, avec la construction de parkings de très grandes capacités (à Louvain, par exemple) ou de boxes sécurisés, celui du vélopartage, l’explosion de la distribution par vélo-cargos, les journées sans voitures ou les « cyclovias », éphémères à Bruxelles (2011-12), mais très vivaces en Amérique du Sud ou à Montréal, sont autant d’arguments qui viennent apaiser le trafic et conforter la circulation des vélos.
Lentement mais sûrement, le vélo commence à avoir un impact sur le développement de nos villes, façonnant et orientant les nouvelles typologies de conception et infrastructures urbaines, qu’il s’agisse de formes novatrices de parking, de ponts et tunnels réservés aux vélos ou d’interventions de moindre ampleur comme des capteurs de pluie. Plus que jamais, l’urbanisme effectue un retour vers le futur, vers une époque où les villes avaient une taille humaine et offraient aux gens des solutions rationnelles et pratiques pour se déplacer.
Cf. texte de l’expo bike-to-the-future de Gand.