(aan een vertaling wordt gewerkt!)
On a toutes les raisons de supposer que la vélocipédie a été introduite en Belgique en 1819 – un an après son apparition a Paris – par un Bruxellois nommé Karr et demeurant rue des Chats, l’actuelle rue de Villers reliant la rue du Chêne à la rue de Dinant (ancienne rue de Bavière). Cette opinion résulte des plus anciens documents retrouvés jusqu’ici et elle vaut donc jusqu’à la découverte d’une pièce antérieure. Voici tout d’abord un numéro de « La Feuille d’Annonces de Tournai » portant la date du 23 avril 1819 et où, sous le titre : « Description de la Draisienne », le vélocipède donc du Baron Drais, on peut lire ce qui suit :
« Cette machine est montée sur deux roues légères, courant sur une même ligne. La roue de devant tourne sur un pivot et le conducteur – lisez le guidon – qui y est adapté donne la facilité au voyageur qui le tient de se diriger à volonté. La roue de derrière tourne toujours dans la même direction. Le cavalier, à califourchon sur une selle fixée sur le dos du cheval, se trouve entre les deux roues et ses pieds posent à terre de sorte à pouvoir marquer ses pas comme s’il marchait, en ayant soin de commencer le mouvement lentement. Il pose ses coudes sur un coussin placé devant lui et ses mains dirigent le conducteur. »
Un renvoi au bas du journal annonce :
« L’importateur de la machine en Belgique est M. Karr, breveté, domicilié rue des Chats, à Bruxelles. »
Voici ensuite, du même journal, le numéro du 7 mai 1819, sous le titre : « Annonce particulière », les lignes suivantes :
« Le commerce vient de faire une conquête sérieuse et inespérée, comme on en sera convaincu lorsqu’on saura qu’il est à nous libre d’établir des magasins de Dada-Piéton, plus élégamment appelés Cheval mécanique ou bien Vélocipèdes. Le sieur Karr, a Bruxelles, ni personne autre dans le royaume, n’ont obtenu le brevet de privilège exclusif pour cette machine, que nous pouvons fabriquer et rendre, si tel est notre bon plaisir. En conséquence, les personnes qui seraient tentées d’établir des fabriques de chevaux n’éprouveront aucun empêchement dans leurs entreprises, dont le succès nous semble assuré par les grands avantages qu’elle promet au public promeneur et voyageur. Quel est celui qui ne consacrera pas quelques couronnes à l’acquisition d’un pareil coursier ne demandant ni domestique, ni écurie, ni paille, ni avoine et dont la paisible et constante allure met à l’abri de tout danger le plus maladroit des écuyers. »
Le second ancêtre remonte a 1848 : Amédée Bourson, qui, à peine âgé de quinze ans – il est né le 28 septembre 1833 – débute dans la vélocipédie en circulant à draisienne – peut-être une de Karr – dans les rues de Bruxelles. Il aimait à raconter les péripéties de ses sorties en ville, les vexations dont il était victime de la part des gamins qui lui jetaient des pierres et de la part du public qui l’invectivait, lui demandant s’il n’avait pas honte de se montrer ainsi. Il finit par convertir a sa cause un ami pour l’accompagner dans ses pérégrinations. Il s’entendait avec lui pour mettre pied à terre à tour de rôle devant l’ennemi et rosser d’importance leurs persécuteurs. Ce jeune néophyte devait, du reste, montrer à la vélocipédie une fidélité exemplaire, car il s’y consacra jusqu’à sa mort, survenue à Etterbeek, le 17 juillet 1905. En 1902, il était encore tellement féru de ; cyclisme qu’il se mêlait aux jeunes pour excursionner avec eux. Il avait même accepté la présidence d’honneur d’un cercle d’ailleurs tout à fait distingué : la Société des Cyclistes. Il eut donc le bonheur d’avoir vécu intensément les âges successifs de la draisienne, du bicycle, du safety et de la bicyclette… Amédée Bourson partageait son temps entre le bicycle et la peinture. Elève de Navez, il fut un portraitiste consciencieux et fidèle, si pas renommé, et occupa la direction de l’Ecole de Dessin de Saint-Josse-ten-Noode, après y avoir professé plusieurs années. Il était le frère de Pierre Bourson, le directeur du Moniteur belge qui, en 1888, était encore le doyen étonnamment jeune des journalistes bruxellois.
En 1866, deux ancêtres encore se signalent à notre attention. Tout d’abord, le décorateur Charles-Albert qui, âgé de 18 ans, se laisse prendre aux charmes d’un bicycle en bois de Michaux. Athlète remarquable du reste, il pratiquait tous les sports, même le sport amusant : c’est lui qui, cavalier émérite, entra un beau matin, à la suite d’un pari, à la Maison Haute, à Boitsfort, – non, vous n’y êtes pas du tout – portant son cheval sur ses puissantes épaules ! L’autre ancêtre venu à la vélocipédie en 1866 est un petit Ostendais do dix ans, malin et adroit comme un singe et qui, jusqu’en 1871, épata les pêcheurs sur son Michaux de 50 kilos : le petit Henri Hillebrand, qui devint cycliste endurci en même temps que commerçant plein d’initiative et d’audace. En 1892, il totalisait 70.000 kilomètres d’excursions en tous pays !
En 1867, deux Bruxellois, Engelen et De Visser, fervents du bicycle Michaux, construisent un quadricycle pour quatre personnes. Le châssis et les roues sont en bois et les autres pièces en fer forgé. Des barres et leviers, sur lesquels les quatre vélocipédistes appuient des pieds, transmettent le mouvement aux deux roues arrière. La même année vient au bicycle un tout jeune homme qui, plus tard, se fit l’un des plus dévoués propagateurs du cyclisme, et mit, au service de la bonne cause, la haute situation à laquelle il avait accédé à la fois dans la politique et la garde civique : le commandant Armand Anspach-Puissant toujours vert et actif. À cette époque, les bicycles Michaux V sont cotés chez nous 600 francs – soit 6.000 de nos francs actuels. La roue motrice mesure 95 centimètres de diamètre, ce qui donne approximativement un développement de trois mètres. Et comme on atteignait le 15 à l’heure, il fallait donner 5.000 tours de pédales à l’heure, à peu près 83 par minute.
S’il faut en croire ce qu’en 1880 disaient les vétérans d’alors, Bruxelles seul comptait des bicyclistes en 1868 et ceux-ci n’étaient guère plus d’une dizaine. Des recherches ont cependant démontre qu’il y en avait bien davantage et qu’on y comptait même trois velocewomen. Il existait aussi des vélocipédistes à Gand et à Liège, ainsi qu’à Ostende – tout au moins le petit Hillebrand.
Enfin, des 1869, la ville de Bruxelles éprouva le besoin de réglementer la circulation des vélocipèdes et l’on n’imagine tout de même pas le Conseil communal d’une capitale s’amusant à élaborer un règlement pour un demi quarteron de sportifs. Cette première manifestation officielle de l’existence des vélocipédistes bruxellois mérite les honneurs d’une exhumation.
Article premier. – Il est défendu aux personnes qui font usage de vélocipèdes, de circuler sur les trottoirs, dans le Parc et généralement dans les allées des promenades publiques exclusivement réservées aux piétons.
Art. 2. – La mesure prescrite par l’article 8 du règlement sur la voirie, qui oblige les cochers et conducteurs de voiture à prendre la partie du pavé et des voies macadamisées qui se trouve à leur droite, est applicable aux conducteurs de vélocipèdes. Les vélocipèdes circulant le soir seront pourvus d’une lanterne allumée garnie de vitres bien transparentes et placée à la hauteur minimum d’un mètre au-dessus du sol.
Art. 3. – Les contraventions à la présente ordonnance seront punies des peines stipulées à l’article 120 du règlement du 3 mars 1860. Fait en séance du conseil le 15 février 1869.
Quelle fut la réaction des vélocipédistes bruxellois devant le règlement dont la capitale venait de les honorer ? Merveilleuse, tout simplement : au premier règlement belge, ils opposèrent le premier club belge. Se connaissant tous, ils se concertèrent aisément pour adopter une ligne de conduite conforme à leurs intérêts. Ils étaient alors sans contestation possible une trentaine, tous heureux possesseurs d’un bicycle Michaux aux roues de bois cerclées de fer. Leurs sorties, uniquement dominicales, se limitaient au Bois de la Cambre, créé depuis peu et auquel on accédait depuis 1862 par l’avenue Louise qui détrônait aussi la romantique drève Sainte-Anne, à Laeken qu’on gagnait par l’Allée Verte, avec sa sextuple rangée de tilleuls odorants et d’ormes aux épais ombrages.
Aussitôt le règlement communal affiché, les jeunes sportsmen tinrent, à chacune de leurs sorties, une fois dans l’une, une fois dans l’autre guinguette rencontrée au hasard de ces balades fraternelles et joyeuses, d’interminables conciliabules. Mais rien ne sortant de ces orageuses délibérations, deux d’entre eux prirent l’initiative de mettre cette grave affaire au point : Charles Lagrange, qui dirigeait avec sa mère, veuve, un important atelier de constructions mécaniques situé rue Verte et avait même entrepris la fabrication de vélocipèdes – le premier constructeur belge ! – et Arthur Etienne, fils d’un fabricant de meubles dont les magasins furent longtemps rue de la Madeleine.
S’inspirant de notre devise nationale aujourd’hui si oubliée, ils arrivèrent à cette conclusion, qu’il fallait imiter leurs confrères parisiens qui venaient de se réunir en société et avaient fondé le premier club français : le Véloce Club parisien. Et ils décidèrent tout simplement de fonder le premier club belge : le Véloce Club bruxellois. Mais, rendus prudents par les vaines palabres tenues avec leurs amis, ils arrêtèrent à eux deux toute l’organisation de leur future société et en élaborèrent les statuts. Et quand tout fut bien mis au point – le 1er juin 1869 pour être précis – ils réunirent, rue de Namur, à la Porte Verte, vieil établissement depuis longtemps disparu, tous les vélocipédistes bruxellois qu’ils connaissaient : une heure après – le temps d’expliquer et de lire les statuts – le Véloce Club bruxellois était né aux acclamations de ses fondateurs.
C’étaient Charles Lagrange et Arthur Etienne, les promoteurs; Firmin Mignot, marchand de machines à coudre, rue Neuve ; Amédée Bourson et Charles-Albert, déjà présentés ; David, qui devint et resta longtemps chef mécanicien du théâtre de la Monnaie ; E. Fusnot, fils d’un fabricant de balles et de cartouches ; R.B. Turner, autre marchand de machines à coudre, rue du Midi, où il fut bien longtemps ; Florimond Billen, peintre verrier au talent très délicat ; Gerinroze, fils d’un fabricant de tabacs et cigares, rue des Tanneurs ; Georges Tonnelier, fils d’un ingénieur ; Endelen et De Visser, les constructeurs du quadricycle de 1867, dont il a été parlé précédemment ; Defossez, Worms, Camille Brun, D. Johnson, Vergote, les frères Ramu, E. Wauters, d’autres encore.
Le jeune club prend spirituellement pour devise l’avertissement qu’un esclave était chargé de clamer aux triomphateurs romains : « Cave ne cadras ! » Prends garde de tomber ! Florimond Billen, élu président, dessina l’insigne du nouveau club : un vélocipédiste sur son Michaux et déployant une banderole avec ces mots : « Véloce Club bruxellois ». Cet insigne, en vieil argent pour les membres et en vermeil pour le comité, était arboré avec fierté aux sorties, tandis qu’un des membres roulait en tête portant haut en guise de bannière, une banderole avec le nom du club.
Faut-il dire que ce cortège d’une trentaine de vélocipédistes bringuebalant bruyamment sur les pavés d’alors faisait à chaque sortie une vive sensation. Mais le jeune club ne borna pas son activité à de simples balades : ses visées étaient plus hautes et plus pratiques. À peine fondé, il s’aboucha avec l’Administration communale, non pour la remercier du règlement dont les vélocipédistes bruxellois venaient d’être dotés, mais pour lui proposer d’organiser, à l’occasion de la kermesse de Bruxelles, une grande réunion de courses avec de nombreux prix offerts par la Ville. Il y eut bien un peu de tirage, mais celle-ci, grande dame, finit par acquiescer aimablement à ces propositions et accorda d’autant plus facilement le subside demandé, que Léopold II et le Comte de Flandre y avaient été aussi de leurs encouragements et étaient intervenus pour 1.250 francs en espèces. Il y eut ainsi pour plus de deux mille francs de prix en médailles, objets d’art et dons.
Il faut cependant attendre 1873 pour que le nombre des vélocipédistes reprenne sa progression et que leur sport marque à nouveau des tendances à se développer. L’effectif du Véloce Club bruxellois s’enfle au point qu’il se sent à l’étroit dans son local de la rue de Namur et s’installe « À la ville de Versailles », établissement qui se trouvait Marche-aux-Herbes, à peu près ou l’on a érigé le petit monument Paul Janson. Il ne resta guère longtemps dans ce local, situé au fond d’un interminable et sombre couloir aboutissant rue de la Putterie et s’aménagea plus grandement au Café de l’Observatoire, spacieux et bel établissement situé à l’angle de l’avenue de l’Astronomie et de la rue du Petit-Village, l’actuelle rue de Bériot — établissement démoli depuis pour faire place à l’hotel du notaire de Roo devenu un terrain vague.
D’autre part, les courses se multiplient au point que le Véloce Club, le grand organisateur, doit décliner maintes propositions émanant de villes de province. Charles Lagrange succède à Billen comme président du Véloce Club. Les courses ayant montré que la vitesse est en rapport avec le diamètre de la roue motrice, on commence à l’agrandir. En 1874, on donne généralement 1 m 20 a l’avant et 0 m 90 à l’arrière ; en 1875, 1 m 25 et 0 m 80 ; en 1876, 1 m 35 et 0 m 70 et même 1 m 40 et 0 m 50.
Cette année-là Charles Lagrange est remplacé à la présidence de son club par Jacques Wautier, touriste endurci dont le rôle compétent, pondéré et plein d’expérience exerça durant longtemps la plus heureuse influence. L’année suivante, en juillet, Charles Lagrange et Jacques Wautier se rendent par la route à Anvers, qu’ils visitent à la grande curiosité des Signorkes. « L’Opinion », d’Anvers, du 15 juillet 1877, publie à ce sujet, l’articulet ci-après :
« Nous avons vu au Parc, hier après-midi, deux vélocipédistes de première force, qui ont été fort remarqués par le public. C’étaient MM. Charles Lagrange et Jacques Wautier, deux amateurs ale Bruxelles, qui avaient fait cette longue route jusqu’à Anvers. Sur leur vélocipède se trouvait une valise dans laquelle on pouvait mettre aliments et boissons. On nous apprend qu’il est question de former un club de vélocipédistes à Anvers, comme il en existe un a Bruxelles. C’est un agrément qui manque encore à notre ville, ou nous possédons un si beau Parc et de grands boulevards, excellents pour ce genre d’exercice. Les amateurs qui désirent en faire partie peuvent se faire inscrire, ou envoyer leur adhésion par écrit, a notre confrère M. Albert Peeters, attaché au journal « De Koophandel », ou personnellement chez lui, rue de la Clef, 11, à Anvers. Il se charge également de la livraison des vélocipèdes. »
Ce projet resta sans suite pendant plusieurs années, car Anvers ne vit naître son premier club que près de dix ans plus tard. À signaler encore, avant de clôturer le chapitre des ancêtres, les débuts, en 1879, de Victor Taelemans, cet homme charmant qui fut l’un des derniers à rouler en bi – des bis d’une hauteur en rapport avec la longueur de ses jambes. Excellent architecte, il édifia le vélodrome de Longchamp que reprit Van Hammée. Puis encore, venu au bicycle vers 1880, Albert de Brouckère, cousin germain de Louis de Brouckère qui, avant de se passionner pour Karl Marx, puis pour Lénine, s’était passionné avec la même fougue pour le grand bi. Déjà grave et barbu, farouchement solitaire, on pouvait le voir, haut juché sur son cher coursier, véritable chevalier errant par les bois et les champs.
Léopold II, qui, depuis 1869, ne cessait de manifester la plus grande sympathie à la vélocipédie, en donne une nouvelle preuve aux régates du 21 juillet 1891. Remarquant partout, autour des tribunes, quantité de bicyclettes, il s’informe si, parmi les rowingmen présents, se trouve un dirigeant de la Ligue, pour qu’on le lui présente. Albert Carroen, le chronométreur attitré de la Ligue, opérait précisément pour les régates et fut introduit dans la loge royale. Tout de suite, le Souverain lui dit combien le sport cycliste lui est sympathique et combien il regrette ne pouvoir, le surlendemain, assister aux courses organisées, sous le patronage de la Ville, par la Presse, le Rapid Club et l’Union et Véloce, surtout qu’il désire offrir un prix pour cette réunion.
– Et, conclut-il, vous direz bien tous mes regrets à vos camarades.
Le lendemain, il faisait appeler au Palais le nouveau président, Léon Procureur, et lui remettait un magnifique objet d’art de 300 francs pour le prix du Roi. Ce fut Protin qui, dans un handicap de 9.000 mètres où il partait scratch, l’enleva en battant d’une minute Van Oolen et Vanden Eynde. C’est le trophée dont le champion liégeois fut le plus fier. Le 30 août 1891, au cours d’une réunion de courses organisée par le cercle La Violette, au Parc Léopold, à Bruxelles, un long et sec gamin de seize ans, drôlement juché sur une routière de 17 kilos et demi, gagne un handicap de 5.000 mètres. On s’informe de cet inconnu, de cette étoile naissante : première victoire de Hubert Houben qui, avec Robert Protin, de deux ans plus âgé que lui, devaient bientôt porter au loin le renom belge et faire triompher nos couleurs sur toutes les pistes d’Europe. En septembre 1891, le Prince Albert fait son premier grand voyage à vélo : il a seize ans et se rend en Suisse pour y faire de l’alpinisme.
Malgré la protection royale dont il jouit, malgré son introduction dans l’armée, malgré les courses que lui doivent les plus modestes villages, enfin, malgré son développement foudroyant, le cyclisme n’est pas encore parvenu, en 1891, à se faire bien accueillir dans les campagnes. Ses adeptes y sont aussi généreusement lapides qu’Amédée Bourson, lorsqu’en 1848 il circulait en draisienne dans les rues de la capitale.
[Francis LAUTERS, « Les premiers vélocipédistes belges apparurent aux Deux Portes », in L’histoire illustrée du Haut de la Ville (Une réalisation de l’Association des Deux-Portes pour ses vingt ans), Les Publications de Bruxelles/ Léon Geerts, 1972, pp 169-175.]