(aan een vertaling wordt gewerkt!)
Il y a au moins une scène artistique où le vélo tient le haut du pavé : la scène punk. L’adoption de la bicyclette par les punks est large et ancienne. Elle tient à ce qu’il est bon marché, simple à réparer et facile à piloter, solution DIY (l’éthique du « Do It Yourself », chère à la communauté punk) idéale au déplacements quotidiens. Mais plus encore, la popularité du vélo chez les punks tient à l’analogie qu’ils font entre transport alternatif et modes de résistance culturelle fondées sur le rejet des normes dominantes et des valeurs consuméristes.
Si l’on associe généralement le rockeur aux grosses cylindrées, le chanteur de rap aux manteaux à fourrure et les stars du show biz en général à la consommation ostentatoire, ces représentations ne valent pas pour les artistes punks. Ceux-ci sont en effet depuis le début végétariens, défenseurs du droit des animaux, militants de la plupart des causes écologiques et… anti-bagnoles et utilisateurs du vélo ! En effet, à l’ère de la modernité capitaliste, où la vitesse, la technologie généralisée et l’énergie consacrée à alimenter la machine économique semble avoir pris le pas sur tout autre rapport au monde, le vélo, comme la marche, peut apparaître comme un des derniers refuges d’une contestation active, « privilégiant la lenteur, la disponibilité, la conversation, le silence, la curiosité, l’amitié, l’inutile, autant de valeurs résolument opposées aux sensibilités néolibérales qui conditionnent désormais nos vies ». [1]
Dans le monde anglo-saxon, les punks sont à l’origine des vagues actuelles du végétarisme, de la défense des animaux (PETA, l’association américaine de défense des droits des animaux, leur doit son succès), de la lutte contre l’automobile, de l’écologie la plus radicale, des derniers retours à la terre… Des groupes comme les Conflict, les Dead Kennedys ou les Damned dénonçaient l’élevage intensif des poulets ou le mauvais traitement des animaux de boucherie. Certains s’improvisent « guerilla gardener » (on parle même de « permapunks » pour les adeptes d’une conception radicale de la permaculture, qui ont pour savoureux slogan « Make compost not war ! »), d’autres prônent le réensauvagement (rewilding) de nos vies. Et les membres de Crass étaient très actifs au sein du Animal Liberation Front, le Front de libération des animaux, « ecowarriors » dont la naissance est concomitante à celle du punk…
Les punks seront de tous les combats de l’écologie radicale, notamment de ceux en faveur de ce qu’on appelle aujourd’hui la mobilité douce, et contre les bagnoles. « Rouler à vélo est punk ! », proclame un fanzine de l’époque. Et contrairement à ce que l’on croit, les punks ne sont pas morts, et ils pédalent toujours… En 2002, l’affiche de la tournée du groupe Dead Things annonce le programme : « Parce que parfois t’as juste envie d’aller au concert à vélo… » Au cours de cette tournée, le groupe a parcouru plus de 2.000 km à vélo à travers la Caroline du Nord et donné une douzaine de concerts. Les punks seront aussi aux avant-postes de mouvements comme Reclaim the streets ou les Critical Mass.
Dans leur étude sur les « écopunks », Fabien Hein et Dom Blake reviennent sur cet histoire d’amour étonnante entre punks et vélo. En voici quelques extraits.
« De fait, dans un microcosme particulièrement attaché à son autonomie le goût pour le vélo s’est manifesté très vite. Tandis que le caractère technique du skate, par exemple, a pu en limiter l’usage et le prédisposait sans doute, par son côté ludique et spectaculaire, à la récupération par le marketing, le vélo offre des possibilités apparemment plus en conformité avec les aspirations et les pratiques de la scène punk au sens large. « L’idée fondamentale est que le vélo est un moyen de transport, et pas seulement un divertissement », proclame la Seitan Hells Bike Punk en juin 2011 dans son fanzine de Salamanque Bike Punk. À cette date, les liens déjà anciens entre vélo et punk rock permettent la résurgence d’arguments bien rodés et en parfaite adéquation avec l’esprit du temps : son coût négligeable, sa maniabilité et son impact nul sur la qualité de l’air en font un outil qu’il est « vital de remettre au goût du jour ». [2]
« Cette volonté de promouvoir la bicyclette est en fait contemporaine de l’émergence du punk. D’emblée, le vélo y est perçu comme une alternative au symbole de la société productiviste qu’est la voiture. Dès les origines, il est ainsi brandi comme un étendard par de très nombreux groupes. À commencer par les bien-nommées Desperate Bicycles (« Les bicyclettes prêtes à tout ») qui, dès août 1977, proclament dans Smokescreen, leur passion pour ce symbole du DIY (Desperate Bicycles est le premier groupe à mettre l’éthique DIY en application, en se produisant et se distribuant par ses propres moyens). Leurs trois premiers disques, parus entre mai 1977 et mars 1978 sur leur label Refill Records, comportent tous des références visuelles ou textuelles au vélo, mais il faut surtout citer « Cars », dans New Cross, New Cross (mai 1978), leur premier extended play (Ep), véritable hymne à la détestation des voitures (« I hate cars ») dont « les beaux vélos, propres et légers, […] finiront au bout du compte par avoir raison ».
« Au cours de la décennie suivante, comme si la montée en puissance du néolibéralisme et de ses effets délétères avaient précipité une prise de conscience, le vélo a pris toute sa place en tant que symbole de la contestation pour les anarcho-punks. »
Punks à vélo et biketivism
« Que l’espèce de relation symbiotique entre la bicyclette et toute une frange de la scène punk ait contribué à faire émerger une identité spécifique, rien ne l’exprime mieux que l’expression « bike punks », dont la première occurrence avérée est sans doute à mettre au crédit du fanzine déjà cité Bike Punk Chronicles, fondé en 1994. En 1996, le groupe hardcore étatsunien Divide & Conquer en fixe l’usage dans l’un de ses titres, en adoptant une graphie spécifique qui sera ensuite régulièrement reprise : « Bike Punx ». En voici un extrait :
Bazardons la Chevrolet, les jeunes veulent rouler à vélo / En avant le désastre à deux roues ! / Un cri de ralliement : fierté cycliste / Emmerdons les bagnoles, insultons-les / Tendons le majeur et occupons toutes les voies / Bike punx ! / La liberté à l’esprit et la clé à molette en main / Que les chantiers d’autoroutes aillent se faire foutre / Reprenons la terre / En pédalant à travers les villes / lançons ce cri de guerre / devant l’agonie du moteur à combustion / Bike punx !
« Rejet violent des automobiles et des infrastructures routières, appel au ralliement et à l’occupation des routes, revendication de liberté pour les cyclistes et référence à peine voilée au texte culte de l’écologie radicale, Le gang de la clé à molette [3], la dimension insurrectionnelle de cette chanson est sans équivoque. Car si le vélo est bel et bien devenu un style de vie et la marque d’une certaine identité parmi les punks, il reste cependant un instrument de la révolte lorsque ce style de vie et cette identité sont menacés. L’article déjà cité de One Way Ticket to Cubesville faisait ainsi, dès 1988, le constat du mépris dans lequel le cycliste est tenu dans l’espace public :
Le fait est que le vélo représente un symbole de rébellion. […] En outre, la bicyclette est probablement le seul moyen de transport, exception faite de la marche à pied, que les multinationales seront bien en peine de rentabiliser sur le long terme (quoi que…). C’est ce qui explique que la vie du cycliste soit si difficile. Prenez une route de base, par exemple. Il suffit d’y pédaler quelques kilomètres, pour se rendre compte que les grandes routes britanniques sont exclusivement conçues pour l’automobiliste. J’ai pu le mesurer lors d’une excursion récente. Plus souvent qu’à mon tour, j’ai dû risquer ma vie pour éviter les nids-de-poule. Et je passe sur la signalétique délirante. Moi qui suis très attaché à la vie, j’ai rapidement compris ma douleur. D’autant que le look punk ne joue pas en ta faveur sur un vélo. C’est déjà assez pénible comme ça quand tu te balades à pied le long de la route, mais quand les voitures qui circulent en sens contraire te foncent dessus pour le simple plaisir de te foutre la trouille… Ceux-là, tu ne peux que leur cracher dessus ou leur balancer quelques invectives bien choisies. Le fait est que, comme tous les rebelles, le cycliste est confronté aux préjugés. Mais rassure-toi, derrière chaque cycliste se cache un mécontent, un anarchiste, un ami.
« San Francisco, après avoir été un haut lieu du rock psychédélique dans les années 1960-1970 (Jefferson Airplanes, Grateful Dead…), est donc devenu une sorte de scène à ciel ouvert pour la culture punk. Or, ces punks sont aussi pour beaucoup d’entre eux des « bike punks » qui travaillent souvent comme coursiers à vélo. La baie de San Francisco a été pionnière dans le développement des messageries à vélo ; la première compagnie étatsunienne de coursiers y est fondée en 1945. De nombreux punks de la ville trouvent à s’y employer dès les années 1980 : Il y avait déjà un croisement important entre coursiers à vélo et contre-culture punk sur la côte ouest dans les années 1990, particulièrement dans la baie de San Francisco, où coursier à vélo était l’une des professions qui « permettait aux gens arborant une crête » de gagner leur vie. Tous les coursiers n’étaient pas et ne sont pas des punks, mais le croisement a rendu le vélo plus visible au sein de la scène punk et l’éthique et les pratiques punks plus visibles parmi les coursiers à vélo.
« Les préoccupations écologiques et politiques des milieux punks se traduisent donc aussi par le rejet des formes de mobilités liées au productivisme et à la société de consommation, et par une prédilection accordée aux modes de déplacement reposant sur l’énergie métabolique. Tout comme dans le domaine de la défense animale, elles ont donné naissance à des styles de vie spécifiques, dont celui incarné par les bike punks est sans aucun doute le plus remarquable. Simultanément, elles ont structuré des formes d’engagements d’un genre nouveau au cours trois dernières décennies, la langue anglaise ayant même forgé un mot valise pour qualifier celles d’entre elles qui reposent sur le vélo : le « biketivism ».
La contestation qui émerge au tournant des années 1980, dans les milieux punks, contre les villes-machines de l’économie capitaliste et contre leur manifestation la plus visible, l’hégémonie automobile, a ainsi peu à peu donné lieu à des pratiques collectives de réappropriation ponctuelle de l’espace public et à la promotion de styles de vie jugés plus respectueux de la nature. L’absence de leader ou de carte d’adhésion, le caractère massif des mobilisations et leur dimension carnavalesque [4] reposent sur une volonté d’inverser — ponctuellement — les rapports de forces (« Nous ne bloquons pas le trafic, proclament-ils à leurs détracteurs, nous sommes le trafic ! »). Au final, elles concourent à l’émergence et à la diffusion, à l’extérieur de la contre-culture punk proprement dite, de tout un ensemble de représentations et de façons de concevoir les interactions avec le monde. Une partie importante de la scène punk s’est ainsi trouvée associée de manière décisive à la production d’imaginaires alternatifs qui irriguent aujourd’hui la pensée écologique, depuis les courants les plus mainstream jusqu’aux franges les plus radicales. »
Fabien Hein et Dom Blake, « Ecopunk. Les punks, de la cause animale à l’écologie radicale », Le Passager clandestin, 2016.
[1] David Le Breton, « Marcher. Eloge des chemins et de la lenteur », 2012. Sur le vélo et la contre-culture (notamment) punk, cf. Zack Furness, « One Less Car. Bicycling and the Politics of Automobility », Philadelphia, Temple University Press, 2010, p. 143. Les travaux de Furness se situent dans le champ des cultural studies. Il est aussi un défenseur acharné de l’usage de la bicyclette.
[2] Voir « Movilidad y modelo urbano en dos tiempos », Bike Punk, juin 2011 (consultable sur valladolidwebmusical.es/fanzinoteca/bikepunk_2011.pdf).
[3] Titre d’un ouvrage d’Edward Abbey, publié en 1975, et considéré comme « le » manifeste de l’écosabotage.
[4] Cela est vrai, on l’a vu, des manifestations Stop The City et Reclaim the Streets, mais les Critical Mass elles-mêmes et de nombreuses déclinaisons de celles-ci comportent souvent une dimension transgressive affirmée. Ainsi par exemple des Critical Tits, inaugurées en 1996, ces bataillons de femmes cyclistes roulant seins nus, la poitrine peinte, ou des World Naked Bike Rides, vastes rassemblements mondiaux de « cyclonudistes » pour « protester contre la dépendance au pétrole et célébrer la puissance du corps » (Wikipédia).